dimanche 24 octobre 2010

Héroïne en CDI – Épisode 5 : LA GREVE

Il me faisait trop marrer en dedans, l'intérimaire. Tous les jours, il portait un t-shirt propre alternant Révolution, Anarchie, Che, un vrai catalogue du Goéland ambulant. Ho, ho. Moi qui me prends habituellement pas mal au sérieux, ricanais intérieurement de cet affichage sans me douter une seconde de ce que l'avenir m'enseignerait, c'est-à-dire qu'il puisse réellement connaître par cœur TOUS les couplets de l'Internationale.


J'ai toujours cru qu'on ne pouvait pas faire grève dans une entreprise sans syndicat. Et pourtant j'en connais des syndiqués justement, des activistes, et toujours on m'a dit: « ah je sais pas, tu sais, il faut déposer un préavis... ». Les PME, les petites boîtes privées, c'était le flou. Et c'est évidemment pas la culture dominante du milieu. Les boîtes du bâtiment en grève ? Jamais vu. « Carreleurs, précaires ! », « Béton, plein le dos », ou « Terrassement! 60 ans ! » sur des pancartes ? Un gigot-bitume à côté des braseros ? Dans tes rêves ! On fait pas grève et il en est même pas question un seule seconde.

Et j'en étais là, à faire les manifs gentillettes du samedi, en famille. A entendre les échos
lointains des vouvouzelas depuis mon poste de travail.
Un beau matin, je vois pas l'Antony (tous les intérimaires s'appellent Antony, ici). Vous devinez la suite.
« -Il est pas là, Anto?
−Non, il est en grève.
−?!!! »
Purée! Il l'a fait, tout seul, Comment, c'est donc possible? Le lendemain, je lui demande.
« -Mais je croyais qu'on pouvait pas faire grève sans préavis d'un syndicat dans la boîte?
−Si, là il y a un préavis national, qui couvre tout le monde. C'est le DROIT DE GRÈVE.
Avant je pouvais pas, j'ai fait trois ans d'apprentissage où il en était même pas question. Et après, j'en ai eu marre et j'ai décidé d'assumer mes convictions. »

Eh ben, me voilà fine. Mouchée par un jeunot sur mon terrain de prédilection, le combat pour un progrès social. Là dessus, je lui assure qu'il ne sera plus seul à la prochaine mobilisation, témoins à l'appui.

Facile, de claironner, la prochaine fois, j'en suis! La prochaine fois, c'était pas très longtemps après – ça gronde en ce moment, vous savez pourquoi. La veille au soir, je me trouve mille et une mauvaises raisons pour aller au turbin quand même; en vrai, par lâcheté et peur des conséquences. Donc, je me pointe comme d'habitude. Tiens, Antony est là, il ne fait grève que ce tantôt pour aller à la manif. Ce qui me laisse une bonne demi- journée à mariner dans mon jus, non je peux vraiment pas, ma fille est malade (mais où est le rapport ?!!), est-ce qu'il faut vraiment pas faire autre chose que juste partir en disant, j'fais grève?... Tout ça rythmé par les : « H, avec nous!!! » de notre ami – qui me sent hésitante et pour cause.

A midi 25, je lui annonce avec gravité que je ne peux vraiment pas. (Mais tu vas te botter le cul? tu le regretteras toute ta vie ! défends-toi ! quelle grande gueule, mais pour ce qui est d'agir ! la honte sur toi). J'ai le trac, je tremble, j'entends mon cœur dans mes oreilles.

A midi 26, je me lève enfin.

Et dire que j'arrive à être fière de moi. J'ai eu au moins le mérite de suivre... Héroïsme par procuration. Merci l'ami.

Héroïne en CDI