vendredi 1 octobre 2010

Travailler plus gagner moins et quand même vivre mieux : Épisode 1

Je vais parler de la façon dont j'envisage le travail et mon expérience en la matière. Ce qui expliquera je pense en grande partie pourquoi j'ai changé de vie avec le plus grand bonheur.

OU J'ÉTUDIE ET DÉCIDE DE MON AVENIR
L'élément fondateur de ma relation au travail se situe en 1ère année de DEUG. Stage optionnel. Je me destinais à la recherche en génétique (le côté mathématique de la génétique me passionnait) et ai donc effectué 1 mois de stage en labo de recherche. Au bout de deux jours, je savais que je ne voulais plus faire ça (et pourtant, ça me motivait depuis la 3ème). Bonne ambiance, conditions plus que correctes, intéressant, mais il a suffit qu'un ou deux chercheurs me parlent de leur horaires de boulot (9h 20h) pour que ça me stoppe direct. Radical.


J'en étais donc là de mes réflexions sur le travail, hors de question d'avoir des horaires à rallonge et d'y passer l'essentiel de ma vie. 
J'ai donc envisagé de faire un boulot plus technique, à partir de ce moment là, avec dans l'idée de m'insérer dans des horaires dit "de bureau", quand bien même il était aussi alors devenu hors de question pour moi de travailler dans un bureau.
J'ai testé deux licences après mon DEUG sans succès, entre autre car il me fallait mener de front un boulot précaire mais nourricier, une histoire d'amour à la con et les études. Elles sont passées à la trappe... Que pensais-je du boulot à ce moment là ? Je ne le voyais que comme une source d'argent, mais je n'ai jamais voulu faire des trucs qui me déplaisait foncièrement : commerce, bar etc... J'ai été contente d'avoir mes premiers salaires mais ai toujours eu le sentiment d'être limité par la somme dont je disposais sur mon compte. Comme beaucoup, période de vaches maigres voire très très maigres de plusieurs années, mais avec toujours un toit sur la tête. 
La pire expérience reste le boulot de jeune fille au pair, vraiment du foutage de gueule, pas de salaire et pas le droit d'être chez soi dans le bouiboui qui tenait lieu de logement en contrepartie du boulot. 

Globalement, grande période d'attente, avant d'avoir un vrai boulot. Ce que j'entendais par là : ok pour me faire chier quelques années, mais pas trop, avant d'avoir le boulot de mes rêves : intérêt pour celui-ci, qui corresponde à mes idéaux (ouais carrément, et je lâche pas facilement l'affaire), qui me permette de bosser dehors et payé correctement. 
Avec cette dernière précision, je sous-entendais, en chiffre, 1300€ net en première embauche ce que j'estimais être un salaire qui me permette de ne pas me poser trop de question. Évidement, étant assez sûre de ce que je vaux dans le travail, je n'imaginais pas la vie pro sans augmentation rapide et atteindre les 1500€ en 3 ans environ (ahaha, on a de ces illusions quand on est jeune !). Royal.
J'attendais en outre de ce vrai boulot d'être autonome, d'avoir du libre arbitre, de pouvoir avoir beaucoup d'initiative, bref, de mener ma vie comme je l'entendais quoi.

J'ai enfin eu ce premier vrai boulot, après avoir repris des études, avec le but avoué et assumé de bosser dans l'environnement, ce qui me permettait de concilier complètement le boulot et mes convictions....

Après cette dernière formation, au cours d'un colloque auquel plusieurs élèves de ma classe et moi-même assurions le rôle d'hôtes, j'ai été choisie (c'est vraiment le terme) par des participants pour une boulot temporaire en hydrogéologie au prétexte que les filles bossent mieux que les mec (d'où le choix, et puis, j'étais la plus jolie -c'était ma période bombasse- ce qui a dû jouer en ma faveur ; ce jour-là à l'issu du colloque, j'ai même retrouvé des mots doux dans mes poches de manteaux, c'est quand même un drôle de truc). Je me suis posé plusieurs jours la question d'accepter ou non parce que c'était mal payé (être précaire dans la fonction publique c'est pire que tout) ; et puis il me fallait allé pour quelques mois dans une ville dans laquelle je m'étais jurée de ne plus jamais remettre les pieds. Bref, je devais renier quelques trucs et ça, c'est assez difficile pour moi. 
Mais j'ai accepté, en partie parce que sinon, c'était rien, peau de zob, une précarité encore pire et des difficultés encore plus accrues pour trouver du boulot. Et ça nous permettait à chacun (Fred et moi) de trouver, espérions-nous, du boulot ailleurs. J'ai quand même finalement bien fait, d'un point de vu pro, car j'y ai appris des trucs fort intéressant, et la pratique de logiciels qui auraient pu faire la différence par la suite.

OU JE RENCONTRE LE SEXISME
On était assez cruchons pour croire que le meilleur était possible (deux boulots, dans la même branche, dans le même coin, mais ailleurs), en partie parce que pendant notre formation en hydro, on nous avait dit et répété qu'on trouverait très facilement du boulot. Ce qui devait être vrai encore les années précédentes c'est révélé plus difficile à partir de notre promo pour nos métiers, mais plus généralement pour tout le monde. 
Bref, mon contrat terminé, moi j'avais rien, par contre, ce qui était assez glauque pour moi, c'est que Fred avait trouvé un boulot de rêve, celui que j'aurais voulu, dans une boîte renommée, mais dans cette putain de ville. 
Ici, une précision : j'étais formé pour du boulot de terrain (analyses et expertises diverses et variées sur les rivières, les nappes souterraines, etc... etc.., donc dehors) alors que Fred était formé pour le travail de labo. Pour chacun, c'était un choix professionnel mûrement réfléchi qui avait motivé nos options d'études. Si Fred a finalement été ravi de bosser sur le terrain, j'ai dû subir tous les refus possibles et imaginables pour ce genre de boulot, pour lequel j'étais qualifiée, motivée, voire grassement pistonnée, sous de faux prétexte, en fait car j'étais une femelle.
Chacun dans notre coin, avec Fred, on a fait quelques investigations pour connaître les vraies raisons des refus que l'on m'opposait (facile, on pouvait potentiellement postuler pour les mêmes postes), et assez rapidement, la réponse était clairement : oui, mais on veut pas de fille (oui, plusieurs on vraiment pris le risque de formuler la phrase, ce qui prouve bien que c'est normal et dans les moeurs même si c'est illégal). 
Le CV anonyme n'existait pas, mais j'ai pensé à cette époque faire de vrais CV avec nom d'emprunt pour au moins passer la barrière de l'entretien, mais comme d'un autre côté, je trouvais ça anormal de devoir avoir recours à ces procédés (j'aurais eu l'impression de devoir justifier mon sexe), je ne l'ai pas fait. J'ai donc continué à chercher, avec toujours les mêmes résultats. 

Petit saut en avant dans le temps pour voir que ce sexisme m'a poursuivi pendant des années (comme pour la majorité des femmes qui ne font pas secrétaires, infirmières ou maîtresse d'école, je suppose). Deux ans et demi après, je postule et obtiens un poste de technicien pour effectuer et traiter des mesures de vent dans le but d'étudier l'installation possible d'éoliennes. L'annonce précisait qu'il s'agissait d'un boulot de technicien de terrain avec des déplacements en France, et dans les DOM TOM. J'ai donc intégré le bureau d'études où nous étions en binôme tech / ingé : 3 filles, 1 gars, l'ingé avec qui je bossais. La partie technique, montage de mât de mesures et dépouillement des données revenait logiquement au technicien. Ce qui était vrai dans le binôme fille/fille devenait caduque dans le mien et j'ai dû batailler ferme pour obtenir d'accompagner mon ingénieur qui faisait donc mon boulot... Et qui, royalement, avait en charge les missions dans les îles de notre secteur, pendant que je faisais du travail de fille de bureau. 
Après quelques mois de bagarre avec les n+1 n+2 etc... ça a payé et j'ai pu partir avec lui (on a fait valoir que si il devait arrêter de bosser personne ne saurait faire), puis seule. Heureusement puisqu'il est parti du jour au lendemain. Suivi par la technicienne de l'autre binôme (pas de rapport).
Je pensais que ma place allait être royale. J'étais désormais la seule à connaître les ficelles du montage de mâts de mesures (on avait poussé le vice jusqu'à me faire faire les notices, pour que n'importe qui puisse les poser). 
En fait, non. À partir de ce moment là, puisque nous n'étions plus que deux filles à bosser dans le bureau d'étude, il a été décidé que notre place était bien là et qu'on ferait appel à un prestataire de service pour les montages (ceux qui bossent dans des entreprises qui sous-traite une partie de leurs compétences savant qu'économiquement c'est une connerie). Et puis, quand après 9 mois, on a recruté un nouveau technicien, homme donc, cette partie du boulot que nous ne faisions donc plus plus a été attribuée. 

Après ce boulot, il a fallu encore que je m'affirme (bon, l'affirmation de soi, j'ai pas trop de soucis avec ça, c'est pas quelque chose qui m'est compliqué) pour faire admettre que je voulais devenir agriculteur (j'utilise le terme à escient, l'agricultrice, c'est quand même toujours un peu la femme de l'autre). Et maintenant, il faut supporter que les clients et les fournisseurs s'adressent de préférence à Fred pour parler boulot, quand il est avec moi, ou ne m'accorde aucune crédibilité si je suis seule (quand on ne me dit pas qu'on va attendre mon mari). C'est quelque chose qu'il faut supporter même des gens jeunes et modernes, qu'on en peut en théorie pas accuser de sexisme. C'est très humiliant, et surtout très énervant.

OU JE PRECISE PETIT À PETIT MES PRIORITÉS
(je reviens dans l'ordre chronologique)
Après le boulot dans la fonction publique, j'en étais donc à ne pas trouver quelque chose, en partie parce que j'étais XX. Finalement, j'ai pu profité d'une courte période d'un boulot fort intéressant, payé correctement, avec CDI à la clé. J'ai bien fait mon boulot, j'avais le CDI, bien que j'ai dû remettre plusieurs fois les points sur les I auprès du patron, un paternaliste de la première heure qui terrorisait certaines employées, et à qui j'ai fait savoir que je ne me laisserais pas marcher sur les pieds, moi. J'ai pas accepté le CDI : devoir travailler à 2 heures de route de chez moi ou déménager et laisser de côté ma vie privée d'une part, être sous la coupe d'un vieux con paternaliste qui avait la fantaisie de passer outre la sécurité de ses employés (ne pas leur fournir de gilet fluo quand ils bossent dans les bois les jours de chasse, c'est un rien mesquin) d'autre part, ça n'a pas été du tout difficile de faire une croix sur ce boulot. Encore maintenant, je suis sûre de mon choix de l'époque, et je referais le même, même en sachant que c'est le meilleur boulot que j'ai eu et auquel j'aurais pu légitimement prétendre en hydro. Un élément qui permet de comprendre où je situe mes priorités.

Période de chômage, un peu galère psychologiquement, se savoir douée et essuyer des refus sans raison valable, c'est pas facile. Pas de souci financier, même si c'était pas byzance, puisque j'étais grâce à Fred, bien entretenue. J'ai eu toutefois quelques entretiens, pour des boulots qui m'intéressais. J'étais intéressantes également et ai été choisie à chaque fois, on aurait même pu en profiter pour se barrer dans un coin qui nous convenait. J'ai refusé à chaque fois, car le salaire était de la merde. 
C'est peut-être paradoxal, mais à partir du moment où j'ai cherché de vrai boulot et sauf le tout premier pour les raisons que j'ai expliquées), j'ai toujours mis un point d'honneur à refuser les boulots dont le salaire était au smic, que je juge insuffisant et encore plus quand on a fait des études pour travailler.  
C'est exact que je savais ne pas être à la rue en refusant, et que ça facilite ce genre de décision. Mais je reste persuadée qu'il faut refuser ces compromissions si on espère que le statut des travailleurs change et s'améliore. 

Prochain épisode : OU JE SUIS PRÊTE À TOUT POUR FAIRE VALOIR MES DROITS

Delf