lundi 21 février 2011

Vous cherchez une stagiaire ?

J'ai 21 ans, bac+4, des idéaux, des idées, des envies, et de la motivation à revendre. Après avoir achevé ma licence en juillet dernier, j'ai décidé de travailler dans un agence d'architecture, plus dans le cadre d'une obligation scolaire, non, juste par envie, l'envie d'en connaître davantage avant de finir mes études, de m'affranchir de ce système illusoire d'enseignement qui s'enfonce dans trop d'académisme pour livrer des jeunes diplômés en pâture au fameux « monde du travail », après 6 ans de travaux forcés, et si peu d'expérience du milieu.


J'ai décidé de m'exiler aussi, par conviction, la conviction qu'un architecte doit voyager, découvrir l'architecture, et partir dans une petite quête de soi-même et de son architecture, une auto-formation nécessaire, qui ne peut se faire autrement qu'en allant au contact de ces bâtiments et de ces agences que j'admirais de loin.

Ça a l'air gentil et gai dit comme ça, ça fait petite étudiante qui s'en va apprendre la vie de par le monde, ça fait petit jeune qui brûle sa thune en allant dans tous les endroits à la mode pour « vivre des expériences vraies ». C'est certainement l'image que beaucoup de mes amis plus ou moins proches avaient. Et je la hais cette image.

Je travaille donc en ce moment dans une petite agence d'architecture, ou je suis gaiement exploitée 40 heures par semaine pour.... 325 euros par mois (tentative avortée d'aller jusqu'au 350?). Je parade avec mon joli Bac+4, mon année d'hypokhâgne dans une prépa provinciale très injustement « cotée », ma licence d'architecture dans une « très bonne école » à l'organisation plus qu'aléatoire. Et après toutes ces années où un tas de beau monde m'a répété à quel point j'étais chanceuse d'être là où j'en étais, toutes ces années où j'ai grandi en entendant des professeurs reconnaître mes qualités, me flatter, m'étouffer de compliments (pas en hypokhâgne cependant).... Eh bien je me retrouve à voler mes serviettes de toilettes dans les hôtels, à trouver tous mes meubles dans la rue pour conserver juste ce qu'il faut de fierté pour ne pas avoir à demander davantage à mes parents qui paient déjà mon loyer
exorbitant.

J'ai été ravie de décrocher ce stage, j'ai bataillé, j'ai fait un autre stage pendant un mois en France pour avoir juste ce qu'il me fallait pour aller en Hollande, et en trouver un autre. J'avais dans l'idée de pouvoir m'émanciper de mes parents, de ne plus leur demander autant. Je pouvais enfin m'assumer, un peu. Travailler avec ces jeunes archis qui me donnaient pas mal de responsabilités m'a, pour un temps, fait oublier à quel point c'était raté. Puis j'ai finalement été rattrapée par cette réalité ratée, le fait qu'il me payent un tiers au noir "parce que sinon il y a un truc compliqué de taxes que tu ne comprendras pas", j'attends toujours mon contrat officiel, tout mon argent de noël est passé dans la caution de ma chambre, au milieu de ce mois j'avais déjà mangé mon obole dans mon déménagement.

Et ensuite « on m'a dit que »...

On m'a dit qu'il y a 5 ans les stagiaires de mon niveau étaient payes 700 euros, ça me fait rêver, moi je me contente de si peu, même un billet de 50 a des relents de félicité.

Alors j'aimerais comprendre, comment, pourquoi. J'aimerais m'expliquer à moi-même, mais aussi aux autres. Pourquoi moi, comme tant d'autres, nous nous retrouvons exploités, écrasés par une profession qui est censée faire rêver car embrassant un champ si large de possibilités. Comment des adultes peuvent-il décemment se permettre de me dire que mon travail est bon, que mes concepts sont « super intelligents », et rentrer chez eux le soir, et s'endormir paisiblement, tout en me payant 325 euros/mois (et même pas 350) pour mon sourire, pour ma passion, pour mon esprit « critique et fabuleusement imaginatif »

Et avoir la force d'en témoigner, et par la suite peut- être de surmonter ma propre lâcheté et de leur dire que non je ne veux pas avoir fait 9 mois chez eux et rester à ce salaire de pauvresse, et que s'ils ne me rémunèrent pas mieux ils peuvent se mettre le concourseuropéen qu'il pensaient me confier là où je pense.

Heureusement je suis de ces passionnés un brin débiles, l'architecture je l'aime et ce n'est pas ce côté infect qui me fera la quitter. Mais quand je vois certaines annonces, j'ai des envie de paquet-poste meurtrier, d'inondation de bureau provoquée , de torture de maîtres de stages sans scrupules et d'imbécile-heureux qui se permettre d'écrire :

« We will cover food and travel expenses (Wooooouh, c'est la fête  ! ) but the main benefit of
this role is all the experience the person will gain by working within our fast-paced team.
»

Parce que tu t'imagines que ta fast-paced team et sa fabuleuse expérience vaut un loyer londonien, que les deux sandwichs du repas du midi suffisent à me faire carburer 10 heures et que les « drinks » du vendredi me durent un weekend ? Parce que bien évidemment, ce boulot parmi cette brillante équipe d'hypocrites va m'accaparer la semaine entière, me laissant le weekend pour réaliser que la semaine précédente est passée, que la semaine suivante arrive et que j'aurai bientôt intérêt à trouver un second ou un troisième taf si je veux passer la fin du mois (à savoir la semaine d'après la semaine
prochaine).

Ma faiblesse : mes patrons sont charmants, ce qui me rend d'autant plus lâche avec moi-même, d'autant plus conciliante avec eux. Aujourd'hui j'ai pris des photos de moi-même, j'ai fait semblant de ne pas avoir l'air de me nourrir exclusivement de spaghettis, j'ai remballé ma détresse, j'ai même esquissé un sourire niais. Demain je postule pour un crétin de bar-lounge, et encore une fois j'y mettrai toute ma détermination, toute ma motivation, afin de repousser le moment où je me résoudrai à me confronter à
mes adorables patrons, afin de voir jusqu'où je pourrai tenir sans trop rien demander à personne.

J'ai trouvé une étude intéressante, qui interroge à la fois des sources françaises et hollandaises à propos du stage en architecture. Je souhaite m'y plonger plus à fond pour ne plus avoir un illustration décousue de mes tripes la prochaine fois mais quelque chose de mieux documenté.

So

N.B. : Quand j'ai découvert ce blog la semaine dernière, j'ai été effrayée, indignée et révoltée, mais finalement soulagée de savoir que d'autres personnes triment mais cherchent à se l'expliquer, sans virer dans le pathos ni viser d'interlocuteurs en particulier. J'apporte ma pierre à l'édifice en toute simplicité, je me suis retrouvée dans beaucoup d'articles. J'ai eu une légère appréhension à aller jusqu'au bout de cette démarche, et à m'engager dans quelque chose en plus de tout ce que j'essaye de mener à bien chaque semaine. Mais pour toute l'intelligence humaine que j'y ai trouvé, et pour toute la motivation que salecture m'a apporté, je ne le regrette certainement pas, et je ne m'arrêterai pas là.